samedi 8 février 2014

Le web, un sol favorable au fascisme ?


Pour UmbertoEco[1], il y a un fascisme primitif et éternel au sein de nos sociétés : l'Ur-fascisme. Il suffit qu’une de ses caractéristiques soit présente pour que le fascisme revive.

 Le web en compte huit :
1. Le culte de la tradition : chaque mouvement fasciste fait allusion à une vérité primitive énoncée qu'il ne s'agit plus d'interpréter. "Si vous regardez par curiosité les rayons de librairies… "new-age", vous y trouverez St Augustin, lequel, autant que je sache, n'était pas fasciste. Mais le fait  de réunir St Augustin et Stonehenge, ça, c'est un  symptôme d'Ur-Fascisme[2]". Sur le web, une nouvelle tradition  émerge, celle de l’Oracle qui s’impose avec Google et facilite ce type d’associations historiques.
2. Le refus de la raison : Les nazis aiment la science qui sert leurs desseins. Mais pour eux, le siècle des lumières marquait le début de la dépravation. Wikipedia, l'encyclopédie construite par des bénévoles s'oppose à l'encyclopédie Britannica. La dernière est plus juste, l’autre est plus consultée. Mon fils a été confronté à un  prof de bio qui pompait son cours sur Wikipedia et enseignait, de bonne foi, des choses fausses. Où est passée la raison ?
3. Il n'est pas bon de penser : Le fascisme est dans l'action. La remise en question, ça fait désordre. Mais que fait le web ? Quand je pose une question à Google, j'ai la réponse et j'attends cela de tout le monde. En fait d’homme d'action, je deviens un homme de réaction, aux pensées courtes. Or la pensée doit être longue et profonde.
4. Le désaccord est une trahison : la science progresse à force de remise en question. Pour Popper la science consiste à traquer le faux. Insupportable pour le fasciste. Le moteur de recherche de Google est un algorithme complexe qui vous livre des résultats adaptés à ce que vous cherchez d'habitude. Google veut vous satisfaire, pas vous surprendre. Achetez un livre sur Amazon et on vous listera les livres aimés par ceux qui ont acheté le même. On cherche des accords, du ton sur ton. On ne parle pas de trahison, on parle de politiquement incorrect.
5. L'Ur-fascisme naît et se développe sur les frustrations des classes moyennes défavorisées par la crise. Elles s'expriment sur le web. La majorité se contente de faire passer, une opinion ou une image qu'ils ont aimées. Marre des patrons, marre des banques, marre des politiques, marre, marre des cathos, marre des musulmans... Faites passer. Le web amplifie ces frustrations et comme il précède les médias qui précèdent souvent les politiques,…le ton est donné.
6. La vie est une lutte. Le fasciste ne se bat pas pour la vie, il vit pour se battre. Le pacifisme, est un cadeau fait à l'ennemi. Je peux créer une page  élogieuse d'Auschwitz sur Facebook et il faudra des semaines avant que Zuckerberg et ses équipes ne retirent cette page en dépit des plaintes.
7. L'élitisme de masse: le pouvoir fasciste s'exerce par le biais d'une hiérarchie où chaque chef méprise ses subalternes qui, à leur tour, méprisent les leurs. Cela crée un élitisme de masse. Sur Facebook, en créant sa page, un néo-nazi qui s'y fait 1000 amis par rapport au milliard de membres Facebook, c'est anodin. Sauf pour lui et son mépris des autres.
8.  Un langage réduit. Les livres scolaires sous les régimes fascistes ont un lexique réduit et une syntaxe élémentaire. Il faut limiter les outils de raisonnement. Le web vous offre maximum 140 caractères sur Twitter, 6 secondes de Vidéo sur Vine après avoir imposé le SMS et le globish, l’anglais des citoyens du globe. Circuits courts ou courts-circuits de la pensée ?
Sur ce web en toile de fond, se propagent les fondamentalistes et les intégristes mais n’oublions pas que l'intolérance existe avant toute doctrine et toute technologie. Un enfant a peur du différent. Il faudra lui apprendre la tolérance. Qui le fera ? Le législateur ? Le web ? A force de tout réglementer, le « politiquement correct » s’instituera comme un autre fondamentalisme. Les fondements théoriques de Mein Kampf sont démontables avec un peu d'argumentation. Leur succès repose sur cette intolérance sauvage, primitive et biologique qui vit en l’homme. Ne faut-il pas d’urgence aller plus loin en s’imposant un devoir de mémoire, de résistance et de libération dans un monde où la technologie crée un sol aussi propice à la science et au savoir qu’au fascisme et au dogmatisme ?
Le web devient-il absolument totalitaire ? Non, il peut réveiller le Socrate qui sommeille en nous et amplifier les propos de l’amateur de sagesse qui questionne le monde et résiste pour préserver sa liberté.  Il peut soutenir la  libération d’un lieu ouvert à la compréhension du monde, l’université, où libre-examen et libre-parole s’amalgament trop souvent. Il peut y activer la résistance à la recherche appliquée au service du privé et des dirigeants qui aiment faire croire que la science règlera tous les problèmes de la société. Quel fantasme ! Le web peut heureusement ouvrir la porte à la recherche fondamentale en connexion avec une masse d’individus qui ne sont pas débiles mais curieux, avides de compréhension et perfectibles, non ? Il le peut. Mais qui le veut ?

[1] Eternal Fascism : Fourteen ways of looking at a blackshirt, Umberto Eco, New York Review of books, 22 june 1995, pp. 12-15
[2] Cinq questions de morale, Umberto Eco, Grasset, 2000

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